Say me... // Anna FEGUSON [FINISH]

- « Et toi Anna, voudrais-tu te présenter et dire à tes camarades ce que font tes parents ? » Demanda la maîtresse d’école en faisant signe à la petite de se lever. Cette dernière s’exécuta et regarda les autres élèves, attentifs ou non, qui la scrutaient avec des yeux ronds, comme à chaque fois que l’un d’eux était le centre d’attention.
- « Je m’appelle Anna Feguson, j’ai sept ans. Mon père est un politicien, et ma maman écrit des histoires. »
À ce moment, un doigt se leva. La jeune femme donna la parole à un garçon du même âge qu’Anna, puis celui-ci demanda en fixant sa camarade.
- « Qu’est-ce que c’est un politicien ?
- Ben… tu vois... C’est quelqu’un qui va à des réunions, et qui parle à des gens.
- Mon papa aussi parle à des gens. » Déclara un autre garçon.
- « Oui mais ton papa, c’est pas un politicien. » Répondit la demoiselle de manière logique.
L’adulte demanda le silence, puis expliqua un peu plus clairement ce qu’était ce mot que les enfants ne comprenaient pas. Elle interrogea ensuite d’autres élèves qui voulaient se présenter, puis le cours reprit une allure normale. Anna Feguson était élevée par Mr et Mme Feguson. Cette dernière avait un portrait contrastant pleinement avec son mari. Des cheveux blonds et courts sur un visage timide et des yeux clairs. Elle avait le sourire facile, mais pas toujours sincère. Écrivain trop peu renommée, elle inventait elle-même les petites histoires qu’elle lisait à son enfant le soir. Elle s’occupait davantage de sa fille que son mari, ce dernier étant souvent absent par son travail. Cependant, cela ne voulait pas dire que Dorian Feguson ne passait jamais de temps avec sa famille.

Juillet 2000
Équipée de son sac argenté, porté en bandoulière sur une épaule et à coté des hanches, elle s’avançait parmi un groupe d’amis. L’île de Chatam n’était pas aussi peuplée et avancée que maintenant, et son éducation s’arrêtait à un collège. Tous les jours, Anna prenait le bateau pour rejoindre le lycée du continent qui, heureusement, ne se trouvait pas très loin. Cette journée là, ils rentraient chez eux. Une fois installés sur la coque, le navire largua les amarres pour prendre le chemin du retour. Ce groupe d’amis était toujours fourré le plus devant possible, pour profiter du vent et de l’eau s’éclatant contre les parois blanches du bateau. La mousse de l’écume remontait parfois si brusquement qu’ils étaient éclaboussés. Anna fermait les yeux et laissait l’air marin emplir ses narines d’une odeur de vacance. Ils allaient passer le week-end à la plage, comme les joyeux adolescents de seize ans qu’ils étaient. Elle se pencha davantage par-dessus bord, ignorant les petits crachats de l’eau qui se posaient sur son visage, y collant par la même occasion des mèches de ses cheveux.
- « Tu rentres à pied ? »
Anna sursauta, puis se retourna vers la jeune fille qui venait de lui adresser la parole. Rousse, des tâches de rousseur entravant sa peau par dizaine sur son visage, elle avait de petits yeux bruns qui avaient la désagréable manie de fixer longtemps les personnes à qui elle parlait. Mais Anna avait l’habitude.
- « Oui, ma mère est partie pour New York pour voir ma grand-mère malade. »
Le voyage en bateau se terminait déjà lorsque le navire se calait entre deux bateaux en ‘klaxonnant’ comme un fou. Le petit pont se forma au dessus de l’eau, et les adolescents traversèrent la passerelle en courant presque, pressés de rentrer chez eux. Anna remonta la bretelle de son sac, puis elle prit le chemin de sa maison, après avoir salué ses amis. Sur ses cotés défilait le paysage d’une grande et très longue plage au sable fin et jaune. La mer exécutait des mouvements réguliers sur la plage, comme toujours. Ce sentiment d’infini qu’elle procurait à Anna était si fort que cette dernière avait le souffle coupé à chaque fois qu’elle tentait d’en apercevoir le bout. La jeune fille commença à ralentir l’allure en sentant sa respiration devenir de plus en plus saccadée. Elle expira une grande bouffée puis entama une marche de vive allure sur la piste cyclable, bien qu’elle n’ait pas de vélo. La chaleur qui régnait l’obligea à remonter le bas de son T-Shirt pour le rentrer dans le haut. Peu importait si l’on voyait son ventre, puisque de toute manière elle passait la plupart de son temps libre en maillot de bain dans la mer ou sur la plage. Les oiseaux chantaient toujours, bien que le soir tombait. Même le soleil luttait contre l’obscurité en s’affichant encore clairement. Normal, puisque nous étions en été. Lorsqu’elle aperçut sa maison, Anna esquissa une petite grimace. Ce vide dans la petite allée de gravier rouge devrait être comblé par la voiture de son père. Il allait encore rentrer tard… La demoiselle sortit son trousseau de clé et rentra chez elle. Elle posa son sac au bas des escaliers, alluma machinalement la télévision puis se dirigea vers sa douche. Cependant, elle s’arrêta avant d’ouvrir la porte de la salle de bain. Les informations passaient sur la une, et les mauvaises nouvelles étaient encore en première page ! Se retournant, elle entendit parler d’un crash d’avion. Voilà qui était triste, surtout lorsqu’on pensait à la famille des victimes. Anna ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la compassion et de la tristesse envers eux. Elle s’avança vers son post et se laissa tomber sur le canapé pour écouter la suite. Le crash avait eu lieu en fin de matinée, aux environs de…

- « Papa si tu reçois le message allume la télé à la une ! Papa vite c’est urgent !! »
La jeune fille reposa le combiné sur son socle, puis leva un visage effaré vers l’écran de télévision. Impossible… C’était l’avion qu’avait pris sa mère le matin même ! Le vol en direction de New York… Anna se laissa à nouveau tomber sur le canapé. Elle éteignit le poste, puis se prit la tête entre les mains. Elle ne pouvait pas y croire. C’était invraisemblable, il devait forcément y avoir quelque chose qui ne correspondait pas. Peut-être que Mme Feguson avait raté son avion et pris le prochain, peut-être y’en avait-il deux qui partent à la même heure, peut-être était-ce un mauvais canular… L’adolescente ne pleurait pas. Elle contemplait l’écran noir de sa télévision éteinte. Ses mains agrippaient des poignes de ses cheveux, et tiraient dessus sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle ne bougeait plus, restant muette et immobile. Son cœur battait à tout rompre, prêt à transpercer sa poitrine pour sortir d’un bond. Un bruit de crissement de pneu retentit alors au dehors. Des pas saccadés parvinrent aux oreilles de la jeune fille, alors qu’elle focalisait toute son attention sur ce petit détail. La poignée s’abaissa, et la porte s’ouvrit à la volée.

Et là… Elle éclata en sanglot. Voir le visage désespéré de son père avait retiré d’un coup brusque la lycéenne du trou qu’elle s’était creusé. Elle ne savait pas combien de temps elle était restée sur ce canapé sans bouger, sans regarder autre chose que l’écran noir. Un coup de couteau s’était abattu contre sa chair, et venait de former le trou nécessaire à son cœur pour sortir enfin. Les larmes de douleur sortirent en masse, alors que d’une main elle poussait la petite table du salon. Son autre main était plaquée sur sa bouche. Elle la retira et se pencha en avant pour vomir sur le tapis rouge. Les bras réconfortant de son père ne suffisaient pas à atténuer l’horrible goût pâteux qui prenait place dans sa bouche. Elle croyait sentir l’odeur de la mort, tandis que sa tête frottait maladroitement contre l’épaule de son paternel. Ses membres tremblaient comme une feuille, et l’envie de vomir ne s’en allait pas, bien qu’elle ait déjà lâché sur le sol une partie de cette ignoble douleur.

À seize ans, Anna venait de perdre sa mère. Son deuil fut long, mais pas autant que celui de son père. Même maintenant, la jeune femme ne pouvait dire si Dorian Feguson avait terminé de faire le deuil de sa femme. Il devint de plus en plus protecteur envers sa fille. Beaucoup plus présent dans sa vie, alors qu’Anna avait absolument besoin de lui pour endurer cette épreuve. Elle le remerciait d’avoir compris ce dont elle avait besoin. À 18 ans, elle entama des études de psychologie dans une grande université sur le continent. Elle revenait tous les soirs pour étudier, jusqu’à ce que le travail demandé soit de plus en plus exigeant et difficile. Les deux dernières années, Anna trouva un logement aux cotés de son université. Elle réussit à convaincre son père, et y resta pour finir ses études de psychologie

« Mon cher papa,
Tu vas te demander pourquoi je t’écris une lettre, alors que tu m’appelles tous les soirs. Mais comme je ne te dirais rien au téléphone, autant te le dire par une belle lettre qui immortalisera la nouvelle, tu ne crois pas ? C’est fou comme il peut s’en passer des choses, le même jour, alors que la plupart du temps rien d’important n’arrive. J’ai reçu les résultats de mes examens. Et… j’ai la fierté de t’annoncer que j’ai également eut la plus haute distinction dans le domaine de la psychologie. Pour certains professeurs, je suis une tête, pour d’autres j’ai un don avec les autres. Je me retiens toujours de leur dire que je tiens ma facilité à communiquer de toi…
Normalement, je rentrerais trois jours après que tu ais reçu la lettre. J’aimerais travailler sur l’île, je ne veux pas la quitter. Je rentre en bateau évidemment. Le voyage sera plus long, mais je ne prendrais pas l’avion. Je pourrais en rentrant constater les nouveaux changements que tu as réalisés.

Je t’embrasse papa, je vais enfin pouvoir travailler moi aussi.

Ta fille, Anna. »

Elle sortit poster cette lettre, puis rentra dans son petit appartement. La jeune femme leva une dernière fois le cadre contenant son diplôme à l’intérieur. Elle était heureuse de l’avoir obtenu avec une si grande distinction. Elle voyait son rêve de petite enfant se réaliser sous ses yeux, alors qu’adolescente elle pensait ne jamais y parvenir.

Juillet 2009
La jeune femme effleura les fleurs qu’elle venait de déposer. Elle toucha le marbre sculpté, puis posa ses fesses sur la terre meublée de la tombe. Après un court silence qu’elle utilisa pour observer la pierre, elle murmura.
« Tu nous a quitté il y a neuf ans, maintenant. C’est l’anniversaire de ta mort, tu te souviens ? Papa va probablement venir aussi, mais il va surement attendre que je sois partie, tu le connais. J’ai un appartement maintenant. Enfin plutôt un studio. Tout près de l’université de Stanford. D’ailleurs, je travaille là bas dès Septembre. Je suis psychologue maintenant. Quand je pense que c’est grâce à papa, je ne sais pas comment il a réussi à me décrocher ce travail mais… Mais je le remercie. Tu te rends compte, c’est mon rêve qui se réalise ! »
Anna s’interrompit et se mordit la lèvre. Elle leva les yeux au ciel puis chuchota sur un ton plus bas.
« Tu serait fière de moi, maman. Tu me manque. »
Elle se releva et posa les fleurs tout près de la tombe. La jeune femme se retourna ensuite et sortit du cimetière, la mine triste…