Rendez-vous...(pv)

Huit heure du matin, et déjà du travail pour la psychologue. Elle avait reçu une étudiante affolée dans son cabinet, pour une raison non banale mais toujours embarrassante : Elle était enceinte. Pourquoi ne pas allez voir la mieux placée pour ce genre de problème, c'est à dire l'infirmière, me direz-vous ? Parce que cette jeune fille était venue chercher conseil sur 'comment puis-je le cacher à mon fiancé ?'. Apparemment, non seulement elle avait une peur bleue à l'idée de le lui révéler, mais ne parlons pas des parents dont elle était prête à ne jamais dévoiler quoique ce soit à ce sujet. Elle voulait s'enfuir loin de tout, ou faire disparaître l'enfant qui s'apprêtait à lui rendre la vie dure, disait-elle. Une étudiante vivant encore chez ses parents, et étant avec son petit copain depuis plus de trois ans maintenant avait plutôt intérêt à se responsabiliser un peu, surtout à son page. C'est ce que lui fit comprendre, avec délicatesse, la psychologue en lui exposant des conséquences désastreuses si la vérité restait cachée trop longtemps. Elle ajouta que de toute manière, la vérité finissait toujours par éclater si ce n'était pas de sa bouche. Ensuite, elle s'entreprit de rassurer cette demoiselle en panique, en lui donnant de nombreux cas anonymes de personnes qui ont été dans la même situation qu'elle. Elle lui indiqua que cela arrivait, et lui conseilla telle ou telle adresse suivant la décision de garder ou non l'enfant. Bien qu'elle lui montra toutes les difficultés, responsabilités et attentions qu'il y avait à s'occuper d'un bébé. Enfin, Anna rédigea deux notes. L'une destinée au petit ami concerné, à venir à telle date dans son bureau, l'autre pour les parents, avec le même motif. Si la demoiselle avait des réticences à annoncer seule la grande nouvelle, peut-être la présence de la psychologue lui donnerait plus de courage. Elle raccompagna l'étudiante à la porte une fois que tout fut terminé, puis referma derrière elle. Encore une matinée qui commençait bien, elle avait déjà l'impression de se sentir épuisée mais étonnamment fière. Anna sortit temporairement de son cabinet pour se diriger vers la salle des professeurs. Le café y était toujours moins cher que dans les couloirs. Elle en prit donc un à la machine, bien garni de lait, puis retourna à son cabinet où elle s'installa à son bureau pour remplir des paperasses. Elle laissait le temps à sa boisson de refroidir sur le coté. Alors qu'elle signait de son nom un papier après l'avoir lu et relu, on toqua à sa porte. Anna se leva de son fauteuil et partit ouvrir au visiteur. Elle aurait tout aussi bien pu faire comme tous les adultes, et dire d'entrer plutôt que d'aller ouvrir. Comme le faisait son père d'ailleurs. Mais la psychologie était un domaine tellement différent, et c'était tellement plus accueillant pour un étudiant d'être reçu dans ce cabinet comme s'il était reçu dans la demeure d'une personne.

« Bonjour Ryan, te voilà bien en avance. » Fit-elle avec un petit sourire accueillant, avant de poser sa main sur l'épaule du jeune homme pour l'inviter à rentrer. Anna referma la porte derrière lui et posa ses yeux sur l'étudiant qu'elle connaissait bien maintenant. Un habitué, comme on pourrait dire. Ryan venait régulièrement la consulter et se confier à elle. Avec le secret qu'il préservait, Anna avait grand besoin de le voir régulièrement pour s'assurer qu'il n'arrivait rien, ou qu'une quelconque gaffe ne l'aurait pas mit dans le pétrin. Elle faisait attention à ce gentil garçon comme une mère veillait sur son fils, bien qu'il soit difficile d'affirmer qu'elle le considérait comme cela.
« Tu m'as l'air en forme ce matin. » Déclara-t-elle en fixant Ryan dans les yeux. « Comment va Becker ? »
Son chien, il y tenait à la prunelle de ses yeux. Il en avait d'autant plus de raison puisqu'il disait le comprendre. Anna n'avait eu l'occasion de voir ce beau toutou qu'une ou deux fois, lorsqu'elle le croisait en compagnie de son maître en dehors de l'université. Parce évidemment, les bêtes n'étaient pas admises dans les facultés. La psychologue jeta un coup d'œil par la fenêtre. Encore une journée qui s'annonçait bien chaude, et elle en ressentait déjà les effets sous les rayons qui perçaient la fenêtre derrière son bureau. Anna se dirigea vers le petit évier avec lequel elle servait à boire à ses patients. Elle en sortit un verre.
« Tu as soif ? »

Toujours aussi jolie, allons bon. Il fallait s'attendre à ce genre de compliment avec lui, et elle se contenta de secouer la tête en soupirant. Anna referma la porte derrière eux, puis se tourna vers Ryan lors que ce dernier s'excusait de son avance. Généralement les excuses, c'était lorsqu'on arrivait en retard. D'un signe de tête, elle lui montra son gobelet encore chaud, rempli de café, puis elle lui répondit.

« J'ai eu ma pause, ne t'en fais pas. »

Ryan est un des seuls étudiants l'appelant par son prénom, et la tutoyant aussi. Généralement, elle acceptait l'un seul, mais pas les deux en même temps, afin de garder un certain signe de respect qu'on les psychologues. Mais elle ne blâmait pas le garçon étant donné que parfois il l'appelait 'docteur', et ça suffisait amplement à satisfaire la jeune femme. Trop de respect était signe de distance entre deux individus, et elle voulait au contraire se rapprocher des étudiants afin de pouvoir les mettre à l'aise. Lorsqu'Anna affirma qu'elle trouvait l'étudiant en forme, ou du moins plus en forme que d'habitude, il lui répondit qu'il se sentait toujours mêlé. Chose qui lui arrivait souvent avant de se confier. La jeune femme poussa un fauteuil vers lui pour l'inviter à s'assoir. Elle ne répondit pas, mais le regarda avec sérieux en attendant qu'il en dise plus. Elle se tourna vers l'évier, prit un verre, le remplit et le tendit au garçon tandis qu'il se confiait. La psychologue gardait un air sérieux et soucieux, écoutant avec attention les paroles de l'étudiant. Elle avait l'image du chien, berger allemand d'après sa mémoire, qui deviendrait de plus en plus vieux. Hélas c'était des choses de la vie, aussi bien que de voir ses grands parents vieillir que d'avoir un chien âgé. Mais contrairement aux autres animaux, Anna se disait que Becker avait probablement eut beaucoup plus de chance, qu'il était tombé sur un maître exceptionnel et qu'il aurait vécu dans l'amour, la fidélité et non dans le besoin. Bien sûr, le fait d'entendre ce garçon affirmait que son chien lui disait d'être prudent, et beaucoup d'autres choses encore, restait fou aux yeux de la psychologue. Mais elle avait appris à toujours douter d'elle même et de la vérité. Juger ou traiter une personne de menteur ne l'aidera pas à régler son problème. Mais croire en son histoire en revanche, c'était beaucoup plus favorable, peu importe si elle semblait crédule ensuite.

« N'ai pas peur Ryan, tu sais mieux que quiconque que l'état de Becker est naturel. » commença-t-elle simplement avant de laisser le jeune homme finir.

Il prit le verre d'eau qu'elle lui tendait, puis la jeune femme se rapprocha de lui avant de le regarder droit dans les yeux. Anna adopta une voix douce, en pesant chaque mot dans son esprit avant de les utiliser. Il avait besoin de réconfort, de se sentir rassuré. Lui dire que la mort était une fatalité à laquelle personne n'y échappait n'était certainement pas la bonne solution, même si c'était le cas.

« Becker restera toujours ton fidèle protecteur, car tu auras toujours été un maître exceptionnel pour lui, j'en suis persuadée. C'est pour cela qu'il te dit de faire attention et qu'il veut te préserver. Tu ne dois pas te laisser abattre par ce qui lui arrive, car s'il le sent, il risque de se sentir mal, tu comprends ? »

Anna restait debout, se dirigeant vers son bureau à reculons pour continuer de regarder Ryan. Elle prit ensuite son propre fauteuil et le rapprocha de celui du garçon (qu'elle avait d'ailleurs presque forcé à s'assoir), avant de se poser dessus.

« Tu as encore de bons moments à passer avec lui, alors ne pense pas à ce qu'il pourrait arriver. Tu as la chance d'avoir un chien qui aura peut-être été heureux toute sa vie, auprès de toi.  »

Elle réfléchit un instant à ce que Ryan avait ajouté, à propos du fait qu'il ne voyait pas souvent son chien. Il est vrai qu'il ne pouvait pas l'emmener partout avec lui. Au travail par exemple, puisqu'il lui avait dit qu'il travaillait aux cotés de la mairie. Anna savait bien que malgré le talent du jeune homme, la présence d'un chien déplairait à Adrian. Et l'université était interdite aux animaux. C'était normal, il n'y avait rien à redire, cependant une idée la traversa. La psychologue se leva de son fauteuil pour aller à son bureau.

« Je peux peut-être faire quelque chose, pour que tu puisses l'avoir plus souvent à tes cotés. » Affirma-t-elle avant de s'emparer d'un papier et d'un crayon.

Elle commença à écrire quelque chose sur son papier, le signa puis fit la même chose sur un autre papier, écrivant la même chose à quelques mots près. Anna se redressa ensuite et tendit une des feuilles, avec sa signature, au garçon.

« Bien. À partir de maintenant, mister McMillan, vous êtes victime de troubles de vision, non importants mais assez gênant pour vous mettre parfois en danger. » - Elle leva aussitôt un bras pour l'empêcher de protester ou de répondre quoique ce soit, puis elle continua - « Par conséquent, étant votre docteur psychologue, et ayant ce droit, je vous prescris un médicament indispensable. Votre chien devra vous guider, où que vous alliez.  »

Elle donna ensuite le papier au jeune homme puis ajouta.
« Si quelqu'un venait à douter de toi, montre lui alors ce mot. J'ignore si ce mot fonctionnera auprès du maire adjoint, mais...  » Elle leva légèrement les yeux vers le plafond, hésitante, puis finit par dire sur un ton bas. « Entre nous, s'il t'empêche de voir Becker, je pourrais éventuellement avoir une conversation avec lui à ce sujet. »

Elle ponctua la fin de sa phrase par un clin d'œil. Et puis en même temps, c'était une excuse pour revoir Adrian... Et en ce moment, ils ne cherchaient d'inventer des excuses pour se voir. Grâce à ce mot, Ryan pourra amener son chien à l'université. En revanche, si l'animal venait à ne pas se montrer docile envers certaines personnes, où s'il causait des ennuis...

« Fais attention à ne pas causer d'ennuis. Je te fais confiance, je donnerais l'autre papier à l'administration pour les en informer, mais Becker devra passer presque pour un chien d'aveugle aux yeux des professeurs.  » Prévint la jeune femme sur un ton plus sérieux.

« Oui c'est dur. » Répondit-elle d'un air pensif.

La jeune femme entama son café en ingurgitant quelques gorgées, avant de reposer son gobelet sur son bureau et de se passer la langue sur les lèvres pour retirer le liquide qui s'y promenait. Elle continuait de regardait le jeune homme, malheureusement ce dernier gardait la tête basse. Honteux d'être aussi triste, ou simplement trop chagriné pour oser se confier en la regardant dans le blanc des yeux ? Anna se leva de son fauteuil, qu'elle recula derrière elle, puis elle s'accroupit juste devant l'étudiant pour qu'il la voit.

« C'est un don, malheureusement tout le monde n'est pas aussi compréhensif que toi. » commença-t-elle en cherchant les bons mots, « Tu risquerais d'être affecté, si une personne à qui ce secret a été confié te fuyait. Tu peux tomber sur des personnes qui se rangeraient de ton coté, qui vivraient avec ton secret en le voyant aussi inoffensif que toi tu le ressens.  » - Elle se releva e se dirigea vers sa fenêtre avant de reprendre - « Hélas, ton talent attire aussi convoitise, envie, jalousie, parfois de la peur, du dégoût... Les hommes ont peur de ce qui ne leur ressemble pas. Ils ont tendance à repousser, ou à manipuler ce qu'ils ne peuvent pas expliquer.  »

Anna se retourna vers Ryan, un air à la fois sévère et peiné sur son visage.
« Tu sais, c''est pour ton bien que je te dis ça. Chatam est loin d'être la petite ville paisible qu'elle a été il y a longtemps. Et j'ai bien peur que si ton secret s'ébruitait, tu serais l'objet de mauvaises intentions. Et parfois, même les personnes que tu pensais être tes amis peuvent te surprendre.  »

La jeune femme s'occupa ensuite d'écrire cette sorte d'ordonnance dont elle avait droit, mais qui n'était peut-être pas si légale puisque l'étudiant n'avait pas de problèmes de vue. Mais quoi, son chien allait bientôt rendre l'âme, Ryan avait le cœur brisé et la psychologue était bien trop sensible pour ne rien faire ! Ce n'était certainement pas un abus de pouvoir, car personne n'en était désavantagé, bien au contraire. Apparemment, cette petite manigance s'avéra être bien plus que fructueuse. Il semblait tout simplement ravi ! Au point de vouloir la remercier et de ne pas savoir comment. Pourtant, dans le domaine de la modestie, cette femme n'avait fait que son travail et rien de plus. Cependant elle ne pouvait pas empêcher ce sentiment de joie et de fierté qui l'envahissait lorsqu'elle regardait le sourire enfantin de Ryan. Il se rassit calmement après ce moment d'enthousiasme.

« En gardant ce sourire pendant un bon moment, voilà comment me remercier. » Plaisanta-t-elle en s'asseyant elle aussi sur son fauteuil.

Dans les secondes qui suivirent, le garçon lui demanda si l'on avait besoin de lui en ville. La jeune femme le regarda d'un air intrigué, ne voyant pas bien de quoi il parlait. Est-ce qu'il faisait référence à des services qu'il rendait à la mairie ? Qu'est-ce que cela pourrait-être d'autre ? En tout cas il avait repris un air sérieux et regardait la jeune femme dans les yeux. Cette dernière faisait de même, réfléchissant.

« Tu veux dire à la mairie ? » Demanda-t-elle, « Je l'ignore, je ne m'occupe pas des affaires de la mairie. Cependant je peux toujours leur demander si tu le souhaite. »

Elle se pencha légèrement en avant, laissant un air grave peigner son visage.
« Dis moi, ils ne te demandent pas des services dangereux ou gênants ? »

Elle n'était pas folle, elle connaissait Adrian. Bien qu'elle n'ait aucune preuve de ce qu'elle pensait, elle savait pertinemment que ce dernier lui cachait des choses. Qu'il était exactement le genre d'individu qui réglait ses problèmes dans l'ombre. Et elle se doutait évidemment que les moyens utilisés n'étaient pas les plus sobres.