Pump it up! {PV Maureen}

De soie ou de satin, de moire ou d'ivoire, toute robe sied à une femme, toute robe transforme les crédules en princesses désenchantées.

La valise fut jetée sur le lit, ou plutôt lâchée sans précaution, tant son poids avait scié les mains de sa propriétaire. Abygael suivit le même mouvement, se retrouvant allongé sur le dos, fixant le plafond de la chambre qu'elle occupait depuis maintenant cinq longues années. Rien n'avait vraiment changé. Le papier peint se décrochait par endroits, la poussière s'entassait dans les coins et la pièce dégageait toujours cette impression d'inachèvement coutumière. Tant que l'étudiante avait un bureau, un chocolat chaud à la cafétéria et sa fidèle bibliothèque, elle n'allait pas se plaindre que le directeur ne finance pas davantage les agents d'entretien.

D'un geste, Abygael se remit en position assise. Autant vider sa valise tant que personne n'était sur son dos. Elle venait à peine d'en ouvrir le cadenas que la porte s'ouvrit, laissant entrer une fusée qu'elle connaissait bien. Elle ne fut point étonnée de cette entrée, habituée qu'elle l'était depuis le temps que Maureen oublie la règle de politesse de vigueur : frapper à une porte avant d'entrer.

- Aby ! Enfin revenu ! J'ai cru que tu t'étais perdue quelque part en Europe, tu avais perdu le chemin menant à CIEL ?!
- J'ai eu des imprévus.

Le côté " puce à ressorts " de Maureen lui était devenu habituel, et il fallait avouer qu'il lui avait manqué durant ces vacances. Mais elle n'avait nullement proposé à la jeune fille de venir la voir, sachant qu'elle avait déjà prévu quelque chose avec une autre amie et que de toute façon, elle n'en aurait guère profité. Abygael avait mené des petits boulots sur tout le territoire de la Pologne, refusant de végéter une seule seconde. Oui c'était une acharnée du travail, mais on ne pouvait rien y faire.

Sans même sembler remarquer la présence de Maureen, Abygael entreprit de ranger ses affaires dans l'armoire et le bureau qui consistait son mobilier, en plus de son lit. Voyant son amie jeter un regard critique sur les piles de vêtements que contenait sa valise, Abygael stoppa net, les bras chargés de bouquins plus épais les uns que les autres.

- Et bien quoi ? J'ai échangé ma lingerie avec celle de ma mère ?
- Tu n'as pas de robe.

Pas de robe. Oui et alors ? Elle n'allait pas porter ce genre de tenue dans CIEL, surtout qu'on était en automne. Dans l'esprit d'Abygael, la robe ne se portait qu'en été. Alors où était le problème ? L'étudiante réfléchit, faisant défiler le calendrier dans son esprit. Aujourd'hui était le jour de rentrée à CIEL, et ici on fêtait la rentrée par... un bal. Le mot tomba comme une enclume dans le cerveau d'Abygael, écrasant toutes les autres données. Elle avait complètement oublié le bal. Non pas que fuir cet événement ne la dérangeait pas, au contraire, mais son intuition lui soufflait que Maureen la forcerait à s'y rendre. Quel que soit son avis.

- J'ai du la donner à une de mes cousines pour qu'elle joue à la princesse. Ce n'est pas important.

Comme pour appuyer ses dires, Abygael posa fermement ses livres sur le bureau, soulevant la couche de poussière qui maculait le meuble. Bon, il faudra qu'elle fasse le ménage aussi. On se croirait dans une tombe oubliée. La jeune fille aurait bien voulu se jeter immédiatement dans les joies du chiffon et du balai mais voilà. Maureen s'était déjà lancée dans l'optique " sauvons Abygael en faisant les magasins " et elle n'en décrocherait pas. L'étudiante en art avait déjà saisi son acolyte de psychologie qu'elle entraina hors des dortoirs, prétextant qu'elle faisait cela pour son bien.

C'est ainsi qu'Abygael se retrouva dans la galerie du centre commercial, le poignet tenu par son amie qui ne voulait pas la lâcher. L'étudiante se devait de courir au petit trot pour suivre les longues enjambées de Maureen. Elle tenta d'argumenter en sa faveur ne voulant pas aller à son bal. Elle n'était pas friande des fêtes, et voir des visages emplis d'hypocrisie la révulsait d'horreur.

- Si çà se trouve, toutes les pensionnaires de CIEL ont déjà vidé les magasins, on ne trouvera rien. Et puis ce bal çà ne m'intéresse pas. J'ai déjà subi ceux des quatre dernières années, et crois-moi le scénario est toujours le même. Et les petits fours ont toujours le même goût.

Citation :

Désolé l'inspiration m'a quitté.

Parler de robes et de marques vestimentaires à Abygael était à ses yeux comme si on tentait de lui montrer la différence entre un crocodile et un alligator. Pour elle une robe Dior était exactement pareille qu’une robe H&M; elle aurait été incapable de savoir quelle tenue se mariait avec quelle paire de chaussure et que, ô grand dieu, on ne rentrait pas une chemise dans un pantalon. Abygael et la mode cela faisait plus que deux; le sens de l’esthétique c’était pour les autres, pas pour elle. Alors quand Maureen lui assura que sa dernière trouvaille était parfaite pour elle, la polonaise n’eut qu’un plissement de la bouche. Si elle le disait…

Elle n’écouta que d’une oreille les arguments que lui sortait Maureen. Soit elle irait au bal en tenue « réglementaire », mais hors de question qu’elle aille se trémousser sur la piste de danse. Coincée entre une bouteille de soda et un assortiment de petits fours, elle passerait inaperçu. Déposant les innombrables tenues que lui avait filé Maureen sur la chaise la plus proche, la polonaise prit la dernière trouvaille. Bon, trouver une cabine d’essayage au plus vite, enfiler la tenue et partir d’ici au plus vite. Avec un peu de chance elle pourrait obliger Maureen à la laisser se rendre à la librairie pour la récompenser de sa conduite exemplaire.

- Mael ne mériterait pas que je me mette sur mon 31 pour lui, finit par lâcher la polonaise en jetant un dernier regard à la robe avant de refermer le rideau de la cabine sur elle.

Enfiler la robe ne prit guère que quelques minutes; Abygael avait déjà porté de telles tenues durant les précédents bals et les réunions familiales. Coup d’œil au miroir accroché dans la cabine : ma foi c’était correct. Pas de décolleté pour rameuter un public masculin et elle ne se retrouvait pas les jambes nues. Non pas que la polonaise soit atteinte d’une pudeur extrême, mais n’oubliez pas que c’était une bûcheuse. Quand elle montrait un morceau de peau ce n’était que par inadvertance, en oubliant de boutonner au maximum sa chemise. Alors ne lui demandez pas de montrer un peu de sa gorge ou encore pire, de ses épaules.

La polonaise sortit de la cabine, écartant les bras pour que Maureen puisse voir ce que donnait la robe sur elle.

- Je pense qu’elle suffira. J’ai des sandales dans ma valise, çà suffira pour aller avec, non ?

Pitié que l’américaine ne l’amène pas essayer des milliers de paires de chaussures différentes, son cerveau ne s’en remettrait pas.