Dans la galerie marchande, rencontre du troisième type [PV Zoey]

Le polonais étira ses bras en l’air, joignant ses mains afin d’en faire craquer les jointures. Le bruit des os arracha un frisson de dégoût au collègue dont le bureau était le plus proche de celui de Reagan. Ce dernier haussa les épaules, massant sa nuque devenue douloureuse à force de rester penchée en direction du clavier. Si encore ce qu’il avait écrit était intéressant, il aurait trouvé un moyen de supporter cette fichue douleur, mais non. Il n’avait à se mettre sous la dent que la rubrique des chats perdus et l’hécatombe des personnes âgées n’ayant pas supporté la puissante chaleur estivale. C’en était pathétique.

Le ventilateur brassait inutilement l’air chaud qui stagnait dans les bureaux. Il devait trouver un prétexte pour sortir d’ici et prendre l’air, avant qu’il n’aille frapper la machine à café encore en panne. Aucun de ses « informateurs » habituels ne lui avaient appelé, il ne pouvait donc pas faire croire à ses collègues qu’il allait chercher un scoop. Une idée, il devait trouver une idée… Elle lui vint en un flash quand il entendit un des membres du journal se plaindre de l’absence de boissons -la seule boisson du journal étant le café, et celui-ci n’était pas recommandé lors des journées de canicules-.

- Puisque le soleil a décidé de nous faire fondre, je vais aller acheter de quoi nous rafraîchir, déclara le polonais tout en se levant, ne voulant pas qu’une autre personne s’en charge. Passez votre commande messieurs dames, et Monsieur Kovalski sera ravi de vous servir.

Une feuille de papier couverte de noms de boissons de différentes sortes en main, le journaliste se rendit vers le centre commercial de l’île. La climatisation des lieux lui procura un délicieux frisson : douce technologie, que tu es la bienvenue pour les gens harassés par la sécheresse de Mère Nature. Reagan ressortit quelques instants plus tard du supermarché occupant l’espace principal du premier étage, le porte-feuille allégé et le cabas -acheté à la caisse- emplis de bouteilles d’eau, de soda, voir de canettes. Il ressemblait presque à un père de famille ayant acheté les boissons nécessaires pour l’anniversaire d’un de ses gosses; cette comparaison le fit rire, ce qui fit tourner le visage de plusieurs personnes.

Dont celle de la jeune Zoey Passmore. Le journaliste ne s’attendait aucunement à la trouver ici, certain qu’on était en pleine semaine de cours. Le polonais détourna la tête, continuant sa marche. Mais il savait que la demoiselle l’avait repéré et qu’elle ne le laisserait aucunement partir sans rien dire. Et encore moins sans tenter quoi que ce soit.

Il se doutait qu’il n’allait pas pouvoir échapper à la jeune femme. Il tâcha d’adopter un visage cordial, ne voulant pas risquer d’être impoli, même si les tentatives de séduction de la demoiselle lui portaient sur les nerfs. Comme si tout ceci ne suffisait pas, il fallait qu’elle est emmené son chien. Reagan n’aimait pas ce cabot, et c’était des plus réciproques. Il considérait cet animal comme pourri et gâté jusqu’à la moelle, comme tous les animaux de compagnie de richissimes personnes. Toutefois, si Zoey n’était pas là, il ne faisait nulle doute que le chien aurait imprimé la trace de ses dents sur la peau du polonais. Même si, par miracle, Zoey mettait le polonais dans sa poche, son chien ne supporterait pas cette liaison et transformerait la vie de Reagan en enfer.

- Oh, ma foi, aussi bien que ce soleil qui menace de faire fondre le maquillage de toutes les femmes de Chatam.

La formule « çà fait longtemps » manqua d’arracher un sourire moqueur au polonais. Derrière ces trois mots se cachaient de multiples sous-entendus. Une femme vous dédiant cette phrase tentait surtout de savoir si elle vous avait manqué depuis la dernière fois, et si vous ne l’aviez pas oublié au profit d’une autre.

- Longtemps ? Chez toi, les mois se comptent comme des années, voir des siècles ? Dis-toi que l’on va se revoir pour le gala.

« Malheureusement », pensa-t-il. Le gala était l’évènement le plus prestigieux prévu pour la fin du mois. Tout le gratin de Chatam s’y rendrait par souci de glorifier l’île ou sa propre personne, faire du zèle et se nourrir gratuitement au buffet. Ce dernier point était le seul positif aux yeux du polonais, même s’il n’appréciait guère le caviar-champagne. Rien ne valait un sachet de chips, assis sur les escaliers menant à l’université.

- En parlant de gala, je suppose que tu es justement sorti pour trouver de quoi te mettre en valeur. Tu devrais un jour écrire un article pour le journal de Stanford sur, « comment survivre dans le monde hostile de la mode pour une jeune fille de bonne famille ? »

L’attaque était à peine dissimulée. L’humour du polonais n’était pas toujours délicat et, même si sa phrase le faisait rire, ce n’était pas forcément le cas de son interlocutrice. Surtout si elle le prenait au premier degré.

Je l'écoute parler, en prenant le soin d'enregistrer chacune de ses paroles. Heureusement, j'ai une bonne mémoire ! Sans étonnement, je constate que toutes ses phrases sont dirigées contre moi. J'encaisse sans rien dire, ne montrant que mon sourire. Je ne perdrais jamais la face devant un homme, aussi dur que cela soit.

"Oui, s'est vrai, le gala. Je suppose que tu vas nous écrire un superbe article sur la "superbe" élite de Chattam, n'est-ce pas ?"

Légère ironie sur le deuxième superbe. Bon, c'est vrai, je m'enfonce. Mais autant tacher de lui ressembler si je veux lui plaire. Alors juste faire comme si tout cela ne m'intéresse pas ne me tuera pas.

"Tu as trouvé une cavalière, sinon ?"

Non, je ne veux pas qu'il m'invite. Après tout, cette année, j'avais Mark, ce qui est peut être un moyen de lui montrer ce qu'il avait manqué. Et ce qu'il pouvait avoir.

En parlant de gala, je suppose que tu es justement sorti pour trouver de quoi te mettre en valeur. Tu devrais un jour écrire un article pour le journal de Stanford sur, « comment survivre dans le monde hostile de la mode pour une jeune fille de bonne famille ?

Là, c'en était trop. Je dois arreter le flot de paroles qui arrivaient.

*Sache que ma robe arrive dans deux jours, directement d'Italie. Ici, il n'y a pas de création de Valentino, alors autant importer. Pour l'article, même avec mes conseils, aucune fille ne m'arrivera à la cheville*

Je ne peux absolument pas dire cela, ca ruinerait tout mes efforts ! Alors je réponds simplement

"Eh bien, j'ai déjà une tenue de prévue pour le gala, un cadeau de mon père. Et pour l'article, c'est une bonne idée ! Mais j'aurais besoin de tes conseils, je ne suis pas une grande auteur, malheureusement..."

Que trouver à répondre à cela, Mr Reagan ? Réponse polie, sans attaque, même flatteuse. Mais je n'oublierais pas cette pique...

Un duel s'était engagé entre les deux individus, chacun cherchant à obtenir le dernier mot. Le polonais n'eut pas même un tressaillement de paupière quand la jeune fille se moqua de la fameuse " élite " de l'île. Oh çà. S'il avait la possibilité de trainer dans la boue quelques politiciens et autres coincés un peu précieux, il n'allait pas s'en priver. Rien de tel qu'un petit pamphlet sur les privilégiés de la société pour se mettre de bonne humeur. De plus, le peuple en raffolait, que demander de plus ?

- Tu as trouvé une cavalière, sinon ?

Serait-ce là une invitation cachée ? S'il avait été seul, le journaliste aurait levé les yeux au ciel. Primo, il ne savait pas danser. Alina avait bien tenté de lui apprendre quelques pas, toutefois, à force de voir ses pieds se transformer en purée à force d'être écrasés, elle avait abandonné. Le polonais se gardait donc bien d'aller sur une quelconque piste de danse. Même soûl, il préférait s'accrocher à sa chaise plutôt que de se trémousser au rythme de la musique. Secundo, s'il venait au gala c'était seulement pour écrire un article sur le sujet, et donc par devoir professionnel. Il se posterait dans un coin de la salle, invisible aux yeux des autres mais écoutant et étudiant tout ce qui se passerait. Le polonais trouve inutile de répondre à la jeune fille, de toute façon il a déjà sorti une pique. Qui ne semble pas lui plaire.

- Eh bien, j'ai déjà une tenue de prévue pour le gala, un cadeau de mon père. Et pour l'article, c'est une bonne idée ! Mais j'aurais besoin de tes conseils, je ne suis pas une grande auteur, malheureusement...

Un cadeau de son père, voyez-vous cela. L'archétype de la petite fille gâtée, trésor de son père qui dépenserait des millions pour faire plaisir à son enfant. Un psychologue chevronné aurait vu là un complexe d'Oedipe inversé : le père, séduit par sa fille devenue femme, la couvre de cadeaux pour qu'elle continue à l'admirer. Reagan n'y voyait qu'une action idiote digne des " grands " de ce monde.

- Une tenue qui, si on la vendait, pourrait nourrir tous les SDF des Etats-Unis durant une dizaine d'années.

Le journaliste ne voulait pas débattre sur la pauvreté dans le monde, seulement toucher du doigt cet acte idiot qu'était la dépense extravagante en objets de luxe. Objets qui étaient considérés comme luxueux simplement parce qu'il portait la marque d'un couturier renommé. Tiens, pourquoi ne se rendrait-il pas au gala dans une tenue usée par l'usage, défraichie par le temps ? Ce serait là un joli pied-de-nez vers les pingouins qui allaient s'aligner sur les côtés de la piste de danse, avec leurs costumes et leurs cravates repassés de frais. Sans compter les femmes portant robes moulantes et qui auraient un haut-le-coeur en le voyant porter des baskets dépareillées avec un costume loué et poussiéreux. L'idée méritait d'être appliqué.

Sentant le poids du cabas tiraillé son épaule, Reagan le fit changer de main, portant le poids sur l'autre partie de son corps. Qui aurait cru que l'eau pouvait peser si lourd ?

- J'aurais pu t'aider pour rédiger l'article, si seulement j'avais des connaissances dans la mode. Hors, je ne l'ai jamais suivi. La mode a tendance à se démoder si rapidement.

Bon décidément ce cabas était vraiment lourd. Le polonais finit par le poser entre ses pieds, frottant discrètement la paume de sa main pour en chasser la douleur. Jetant un coup d'oeil vers le labrador -qui sait s'il n'allait pas avoir l'envie de faire ses crocs sur une bouteille en plastique-, Reagan continua sa discussion avec la demoiselle.

- Aujourd'hui on aime les vêtements moulants, qui mettent en avant le corps. Mais çà ne durera pas longtemps. La société court vers l'obésité, et tout le monde finira dans des vêtements amples pour cacher ses rondeurs. Sauf si être gros devient le nouveau critère de beauté. Donc, profite de la mode actuelle, car bientôt tu seras vu comme obsolète et dépassé.

Citation :

Vu que le gala a été lancé, j'écourte notre RP (et désolé de ce post pas inspiré)

La jeune fille avait fait mouche. Touché, mais peut-être pas encore coulé. Quand on se lance dans le journalisme, il faut savoir concocter de bonnes répliques, et avoir plus d'une corde à son arc.

- Mais le plus souvent, l'Homme n'atteint jamais ce qu'il souhaite. Et même si c'est le cas, il cherchera un autre but impossible à atteindre.

La discussion prenait presque un tournant philosophique. Et elle aurait pu durer encore longtemps si le portable du polonais ne s'était pas mis à vibrer. S'excusant d'un signe de tête envers Zoey -ce n'était pas parce qu'elle l'horripilait qu'il devait être discourtois- Reagan sortit le portable de sa poche, s'éloignant de quelques pas de la jeune fille pour répondre. Il détestait qu'on écoute une conversation téléphonique. C'était ainsi.

- Allo ?

Ce fut la seule parole qu'il put prononcer avant que son interlocuteur ne lui lance une dizaine d'invectives. Eloignant légèrement le combiné de son oreille, Reagan tenta de décrypter le problème : la colère rendait les paroles de son interlocuteur pratiquement incompréhensibles. Il était question de soif, de bouteilles, de supermarché et de... coups de pieds aux fesses s'il revenait pas au plus vite. Oh, ce n'était donc que ses collègues qui se plaignaient qu'il ne soit pas déjà arrivé au journal pour les empêcher de se désydrather. Lui qui avait cru qu'un cataclysme avait eu lieu durant son absence...

- Tss, çà ne vous arrive jamais d'avoir un contre-temps imprévu ? rouspeta Reagan d'une telle façon qu'il ressemblait à un gosse qui pique son caprice. Oui, oui, j'arrive. Vous allez pas fondre comme des statues de sel.

Reagan raccrocha au nez de son interlocuteur, levant les yeux au ciel. Elle était belle l'équipe de Chatam Weekly... Remettant son portable dans sa poche, le journaliste revint pour prendre son cabas.

- Ce n'est pas que ta compagnie m'ennuie, mais je risque de finir crucifié sur la façade du Chatam Weekly par une horde de journalistes assoiffés...

Le journaliste souleva le cabas -toujours aussi lourd- et salua Zoey en inclinant légèrement la tête, d'une révérence ironique. Tournant les talons, le journaliste passa les portes automatiques, s'engouffrant dans la chaleur qui n'avait pas baissé d'un cran. Effectivement, le Chatam Weekly aurait besoin d'une climatisation.