La dernière danse || Adrian G. Clarkson

Il était resté un long moment assit dans son bureau à contempler le morceau de carton qu'il tenait en main. A la lueur du jour, on aurait juré qu'il brillait, pourtant, c'était simplement du papier un peu plus solide que d'habitude sur lequel avait été imprimé quelque chose qui, lui, valait de l'or.
C'était une invitation authentique, cachetée par la mairie elle même et reçue dans les règles de l'art, une enveloppe épaisse de papier blanc cassé fermé par un sceau en cire. Dorian ne faisait jamais les choses à moitié, c'était aussi ça qu'il appréciait chez cet homme.
Prenant une courte pause dans son travail, il avait donc longuement réfléchit à celle-ci. Elle offrait l'occasion à deux personnes de franchir le seuil de la merveilleuse villa du maire- bien qu'il la connaissait déjà par coeur- et si l'une des deux personnes étaient lui même, une seule et même question demeurait sans raison.
Qui serait la seconde?
Bien sur il aurait pu y aller seul, c'était d'ailleurs la première chose qui lui était passé par la tête, mais c'était du gâchis, après tout, n'était-ce pas une invitation pour deux? Adrian voyait en cette occasion le moment de faire table rase, d'oublier et de s'amuser... Il cherchait par conséquent quelqu'un avec qui il était sur de passer un bon moment, une personne qui arriverait à le faire sortir de son rôle de politicien qu'il devrait tenir tout le long de cette soirée et qui saurait le maintenir de bonne humeur. Il lança alors un rapide coup d'oeil hors de son bureau, posant son regard noisette sur la jeune femme qui était assise dans son bureau personnel qui communiquait avec celui du maire adjoint. Plongée dans sa tâche elle ne semblait pas remarquer l'insistance avec laquelle il l'observait, ses cheveux blonds couleurs blés contrastaient avec son costume teint sombre que lui imposait son poste, absorbée dans le tri des documents, son visage joyeux et plein d'entrain avait un charme supplémentaire qui lui échappait nullement. Cassy, sa secrétaire, était la personne idéale pour l'accompagner ce soir, elle représentait tout ce qu'il avait décrit jusqu'alors, de plus, leur dernière altercations étaient encore récente et il ne comprenait pas vraiment pourquoi il mourrait d'envie de se racheter et puis, n'allait-il pas célébrer ensemble leur trois ans de collaboration?

Sans autres formes de procès, rictus aux lèvres, il se leva dans l'idée de récupérer son courrier et en passant s'engouffra dans le bureau de la jeune femme, il n'irait pas par quatre chemin, ce n'était pas sous forme de demande qu'il lui demanderait de l'accompagner mais bien par une autre de patron à employé. Observant les nombreuses lettres qu'il tenait, il en profita pour en lancer une ou deux dans la corbeille du bureau de sa secrétaire, continuant son monologue. Si elle avait quelque chose à faire ce soir là, elle devra tout annuler, car c'est avec lui et lui seul qu'elle serait.
Mais il ne s'arrêterait pas là, il savait qu'il avait pris la jeune femme au dépourvu et que cette soirée était loin des traditionnelles soirées mondaines auxquels elle était habituée, là bas, tout serait différent, elle serait différente car elle n'avait simplement aucun poids politique pour ceux qui y seront. Mais qu'importe à défaut de cela, il s'arrangerait pour qu'elle brille de mille feux et sans attendre lui fit commander une robe du meilleur goût qu'il soit, noir et élégante, le maire adjoint savait désormais que le noir allait à ravit à sa secrétaire.

Le soir venu, il lui avait précisé qu'il viendrait la récupérer chez elle. Sur place il fut presque surpris de la voir vêtue de sa robe et surtout de voir à quel point elle lui allait comme un gant, un sourire se dessinait sur ses lèvres alors que Cassy le remerciait d'une manière maladroite.
« Quoi de plus normal? » commença-t-il en lui tendant son bras. «  Et si en plus elle vous va comme un gant, vous n'avez aucune raison de me remercier, vous êtes simplement divine. » siffla-t-il amusé puis, sans plus attendre, ils se mirent en route vers la demeure du maire.
La soirée se déroulait sans encombre, sauf bien sur l'inévitable rencontre avec Anna Feguson, qui visiblement était accompagnée elle aussi. Cassy se dirigea naturellement vers eux à son plus grand désarroi, et il du faire montre du plus grand self control durant l'entièreté de la discussion. Roy lui demanda si il acceptait de lui emprunter Cassy et Adrian acquiesça, s'absentant un instant.

Ce qui s'était passé ensuite? Il avait soudainement eut la tête lourde et tourbillonnante alors qu'il rentrait dans la grande salle, la chaleur de celle-ci contrastait avec la fraîcheur du jardin. Il voyait Anna s'éloigner avec un étrangement pincement au coeur qu'il mit sur le dos de l'alcool, mais à peine eut-il le temps de prendre pied que déjà, quelqu'un l'accostait, l'échevin du commerce en personne, Dante Hollis, vint lui serrer la main, un ami de longue date qu'il avait plaisir à voir ce soir là, il lui tendit une coupe de champagne mais Adrian se sentait lasse de ce liquide acide et acre, il pris l'échevin par l'épaule pour faire quelques pas le long du long couloir. Une longue discussion s'était alors entamée entre eux, puis, alors qu'il promenait son regard dans la grande salle, il aperçu une tête blonde assise sur les escaliers, seule, elle semblait perdue et attendrissante, Cassy n'avait décidément pas la fibre sociale.

« J'ai cru remarquer qu'il y avait un certain nombre de membre de l'université Stanford. » commença-t-il à l'attention de Dante «  Assurez vous que rien ne déborde, tout ce qui s'est passé est encore trop frais pour que je laisse ma vigilance s'amenuir. » D'un hochement de tête l'échevin pris congé et Adrian descendit les escaliers en silence afin qu'elle ne détecte pas sa présence, sa veste sur le bras il la tendit délicatement pour la poser sur les épaules de sa jeune collègue.
« Vous me semblez bien frileuse ce soir. » souffla-t-il à son oreille avant de se redresser et de se tenir devant elle lui lançant un regard à la fois amusé et surpris de la voir ici, ainsi à l'écart de tous.
« Décidément, vous n'avez toujours pas trouvé goût à ce genre de soirée, n'est-ce pas? »

Sans plus attendre, il était décidé à lui faire disparaître cette mine un peu triste et las, elle portait à sa main un verre de champagne vide et ses yeux bleus brillaient dans la nuit d'une façon étrange. Il lui tendit alors la main, l'invitant à se relever.
« Savez vous que le mois d'Aout est un mois spécial? » fit-il alors, il faisait bien sur référence à ce qui s'était produit trois ans auparavant, leur rencontre, l'énergie qu'il avait dépensé pour l'embaucher et la faire devenir sa secrétaire, pour qu'elle ait sa petite place à la mairie, un vent de mélancolie semblait alors souffler sur lui. Il aurait aimé fêter cela dignement, en privé, mais l'anniversaire du maire avait eut le fâcheux hasard de tomber en même temps que le jour où elle était entrée à son service. Il remettrait ça une prochaine fois, mais profiterait de la soirée malgré tout pour y penser et célébrer ça à leur façon.

Cette soirée était étrange, plus elle avançait plus il avait eut l'impression de perdre le contrôle sur les évènements qui s'y était produit. C'est vrai après tout. Le maire adjoint était arrivé comme son habitude en toute discrétion, mais très vite sa célébrité l'avait rattrapé et il s'était retrouvé à serrer de multiples mains sans vraiment savoir à qui elles appartenaient. Jusque là, rien n'avait semblé le gêné, jusqu'au moment où ils tombèrent, lui et Cassy, nez à nez avec Anna Feguson, accompagné d'un chevalier servant aux cheveux sombres. Ni une ni deux, sa secrétaire s'était rué sur eux pour les salués et s'en suivit ce que vous savez déjà tous.
Avoir ensuite croisé son proche ami, l'échevin du commerce, avait fait naître en lui l'espoir d'oublier ce qu'il s'était passé. Car même si il semblait déjà regretter ce qui s'était passé – ou du moins s'efforçait à le faire- il n'en demeurait pas moins qu'il la cherchait sans cesse du regard, comme dans l'espoir qu'ils ne se soient jamais séparé. Qu'importe, il discutait ici d'une situation bien différente. Hollis avait constaté à raison qu'une grande quantité de membres de la Stanford University se trouvait ici, Clarkson lui avait donc suggéré de garder un oeil sur eux au cas où ils n'étaient pas seulement là pour goutter au champagne infecte de cet apéritif, le maire adjoint espérait d'ailleurs que les vins seraient meilleurs.

Il l'avait alors aperçue, seule, comme perdue au milieu de la foule, au milieu de spectre qui ne lui ressemblaient pas. Au fond, n'était-ce pas la vérité? Cassy ne venait pas de ce milieu où, comme dans les cours royales à l'époque, il fallait s'efforcer de sourire et de paraître avant de montrer son réel ressentit. Seul comptait l'apparence et il semblait difficile pour une fille de la rue de se faire à cette idée. Visiblement, la remarque de son patron l'avait suffisamment agacée pour qu'elle ait à se justifier. La fatigue? Après tout, n'était-il pas lui aussi épuisé? Pourquoi n'était-il pas à l'intérieur? Voilà une question difficile, au fond, n'avait-il pas eut lui aussi envie de sortir prendre l'air pour oublier ce qu'il s'était passé avant? Pour éviter ceux et celles qui n'attendaient qu'à fondre sur lui comme des chacals féroces, avide de sa sympathie et de ses bonnes grâces? Il voulait faire le point, ce soir, il était venu dans l'optique de tout oublié, de tiré un trait définitif sur cette mission empoisonnée que lui avait confié le maire, et là, il n'était plus vraiment sur de ses objectifs et avait préféré s'isoler pour y réfléchir. Cette question venant de la bouche de Cassy le laissait donc sans voix, se contentant de regarder sa secrétaire d'un air sévère.
« J'avais besoin d'air » se contenta-t-il de dire froidement, presque agacé, il n'avait pas envie de discuter de tout ça pour le moment. Cette sensation terrible d'oppression et de n'avoir le contrôle de rien le rendait nerveux, mais il devait absolument en faire abstraction. «  Ce champagne est acide et me donne chaud, je me demande où ils ont bien pu pécher ça » il marquait alors une pause, se sentant soudainement devenir désagréable. Cassy avait déjà suffisamment pâti de ses sautes d'humeurs et de ses crises de caractère, aussi n'avait-elle pas à en subir davantage, et puis, n'était-ce pas un jour spécial aujourd'hui?

Elle semblait surprise qu'il s'en rappelle, et le visage soudain lumineux de la jeune femme lui apportait un certain apaisement, il sentit alors la main glacée de sa secrétaire se poser sur la sienne en même temps que son regard azur perçait le siens, un regard étrange qui semblait pétiller de mille feux, terriblement envoûtant, il se contenta cependant de sourire, l'attirant vers lui pour entrer à nouveau dans la salle.
« Comment aurais-je pu? C'est d'ailleurs bien dommage que tout ça tombe aujourd'hui, j'aurais aimé le fêter dans un cadre plus calme » Gracieusement il tenait la main de sa secrétaire entre la sienne, comme si il s'agissait du plus fragile des bijoux. La jeune femme lui fit part de son étonnement au fait que cette date lui tenait à coeur. Mais comment en vérité aurait-il pu en être autrement? Cassy était une secrétaire, et une alliée exemplaire en qui il avait une confiance démesurée, le maire adjoint avait trouvé en elle son équivalent, une jeune femme discrète mais intrépide et redoutable qui avait radicalement changer sa vie à la mairie.
« Vous savez, vous avez changé ma vie » fit-il alors, la grande salle se remplissait et déjà les danses s'enchaînaient. Se posant face à la jeune fille aux cheveux d'or il lui souris.
« A défaut de vous invité au restaurant, j'aimerais vous inviter à danser. » se contenta-t-il de dire. «  Bien que le restaurant ne soit que partie remise »